Reconstruction paléoclimatique de l'Ordovicien
L'explosion de biodiversité de l'Ordivicien (GOBE) et première extinction massive
par Jules Regard
L'Ordovicien a connu la première importante expansion de biodiversité et la première extinction massive, tout cela en moins de 50 millions d’années. Il n’y a pas aujourd’hui une explication unique du GOBE, des causes paléogéographiques, paléoécologiques et paléoclimatiques sont à l’origine de ce phénomène (Servais et al., 2010). L’extinction massive est reliée à des changements de conditions océaniques vers la fin de l’Ordovicien (Encyclopedia Universalis, 2014).
Il y a 480 millions d’années, la Terre a commencé une expansion de diversité sans précédent, principalement au niveau océanique. Cet événement est probablement le plus important en terme de biodiversification de la faune et de la flore marines de l’histoire de la Terre (Servais et al., 2009).
L'explosion de biodiversité de l'Ordovicien (GOBE)
L’Ordovicien a connu une étendue continentale et des mouvements du sol océanique très importants (Servais et al., 2009). Comme le présente la figure 1, un grand continent (Gondwana) était présent proche du Pôle Sud, d’autres plus petit étaient répartis au-dessus de 60° Sud , le Laurentia et le Siberia, et 30° Sud, le Baltica et le continent Avalonia (Servais et al., 2009). Les activités tectoniques et magmatiques qui ont atteint un pic durant l’Ordovicien et les changements induits dans la circulation océanique ont amené à une importante biodiversité de la faune sur Terre (Servais et al., 2009). On observe aussi un épisode volcanique d'importance majeure durant l'Ordovicien moyen, dû à l’élévation d’un important panache mantellique (Bliek A, Encyclopedia Universalis, 2014).
Une révolution dans la chaine trophique peut aussi être une des causes du GOBE (Servais et al, 2009). L’augmentation rapide de biodiversité est accompagnée d’un bouleversement dans la paléoécologie, on passe d’une faune cambrienne évolutive à la faune évolutive du Paléozoïque (Servais et al., 2010).
Les populations de phytoplancton et de zooplancton ont augmenté durant l’Ordovicien, avec l’augmentation de la production primaire, la nourriture devient plus abondante dans la totalité de la chaine trophique (Servais et al, 2010). Cette augmentation explique aussi l’importante diversité et le grand nombre des Trilobites durant l’Ordovicien (Servais et al, 2010).
Tous les niveaux de l’océan présentent une colonisation en expansion. On voit apparaitre des plus en plus d’espèces présentent dans les colonnes d’eau, compris dans une multitude de taxons tels que des gastropodes, des céphalopodes, des brachiopodes et des arthropodes (Servais et al, 2010). Les fonds marins connaissent eux aussi une colonisation importante, une augmentation des récifs chargés en carbonates est l’une des causes (Servais et al, 2010).
Figure 1 : Répartition continentale durant l’Ordovicien. Les lignes rouges représentent les arcs volcaniques de l’époque. Les surfaces hors de l’eau sont principalement situées dans l’hémisphère sud, avec notamment, le Gondwana présent au Pôle Sud. (Source : Mac Niocaill C. via paleocast.com, 2013).
Pendant longtemps, l’Ordovicien a été qualifié de période soumise à un effet de serre gigantesque avec des températures océaniques pouvant atteindre 70°C (Trotter et al., 2008). En 2008, une étude de Julie Trotter et al. met en évidence l’importante relation entre la biodiversité marine et les changements climatiques de l’Ordovicien comme la cause majeure du GOBE (CNRS, 2008). Le début de l’Ordovicien est marqué par des températures océaniques très élevées (environ 45 °C), empêchant l’apparition d’organismes complexes (CNRS, 2008). Un refroidissement progressif du globe a permis aux espèces d’engager une développement très important et très rapide.
Figure 2: En haut : Changement de diversité dans les groupes de fossiles présents dans la colonne d’eau lors de l’Ordovicien. En bas : Changement de diversité dans les groupes de fossiles présents dans les fonds océaniques. (Source : Servais et al, 2010)
L’étude de Julie Trotter (Université de Canberra) est menée en concomitance avec l’Université de Lyon. Elle porte sur l’examen de conodontes (anguille primitive) dont l’âge géologique est connu (CNRS, 2008). La recherche des taux d’oxygène 18 et d’oxygène 16 est à la base de l’étude (Trotter et al, 2008). La présence d’oxygène 18 permet avec certitude de déterminer les températures de surfaces marines (Trotter et al, 2008). Un refroidissement d’une quinzaine de degrés s’est opéré durant l’Ordovicien et a amené à des températures proches des températures équatoriales actuelles (CNRS, 2008). Ce refroidissement a permis de voir une diminution de CO2 grâce à l’augmentation de la photosynthèse et de la production primaire, donc une diminution de l’effet de serre (Trotter et al, 2008).
Figure 3 : Impulsion de biodiversité globale obtenue grâce aux reconstructions climatiques à l’aide des températures obtenues par la constitution ionique des fossiles de conodontes pour tout la durée de l’Ordovicien et le début du Silurien (Trotter et al, 2008).
La figure précédente montre l’évolution des températures de surfaces de l’eau et la dynamique des espèces durant l’Ordovicien. Les lignes rouges, bleues et vertes représentent les impulsions selon les espèces. L’épaisseur des traits n’est pas proportionnelle entre elles, car les pics de diversité ne sont pas représentés et varie énormément régionalement (Trotter et al, 2008).
L’augmentation de biodiversité de l’Ordovicien est donc due à plusieurs facteurs. Le niveau des océans et les températures ont permis le développement de récifs importants (Servais et al, 2009). Les activités tectoniques et volcaniques ont permis à création de nouveaux milieux côtiers et riches en production primaires (Servais et al, 2009). L’évolution écologique a permis une rétroaction positive sur les organismes vivants de l’époque en changeant la chaine trophique (Servais et al, 2009).
Tous ces facteurs sont responsables de la création de la faune paléozoïque constituée de brachiopodes, crinoïdes, ostracodes, céphalopodes, anthozoaires, bryozoaires sténolèmes, gastropodes, échinodermes stelléroïdes, bivalves, démosponges, conodontes, mérostomes, blastoïdes, graptolites, polychètes, sclérosponges, cystoïdes, bryozoaires gymnolèmes, échinoïdes (Blieck, Encyclopedia Universalis, 2014). Cette faune est apparue au début de l’Ordovicien avec notamment l’expansion des trilobites (plus de 18 000 espèces) (Encyclopedia Universalis, 2014). Cette faune paléozoïque a survécu à l’extinction de la fin de l’Ordovicien (Encyclopedia Universalis, 2014), mais ce ne sont pas les espèces en haut de la chaine trophique qui a survécu, mais les plus adaptées aux changements (le genre Lingula notamment) (Bourque, ulaval, 2010).
Figure 4 : Courbe de diversité « Sepkoski » des familles d’invertébrés marins à travers le temps, incluant les temps anciens et modernes, le GOBE et les cinq grandes extinctions massives. (Source : Palaeocast).
Extinction de l’Ordovicien
La figure 4 présente les unités d’évolution écologique, la hausse des familles de 500 Ma jusqu’à la fin de l’Ordovicien est le GOBE. Le premier trait rouge correspond à l’extinction de l’Ordovicien-Silurien. On observe tout de même que cette extinction est moindre comparativement à celle Permien-Trias qui a, elle, été la cause de près de 85 % des espèces marines et 70 % des espèces terrestres (Dubois L, 2014).
Les causes de l’extinction de la fin de l’Ordovicien, sont attribuées à une baisse des océans durant la formation des glaciers, et par la suite par une remontée des niveaux océaniques lors de la fonte de ces glaciers (Encyclopedia britannica, 2014). Plus de 80 % des espèces marines (faune et flore) disparurent (Encyclopedia britannica, 2014).
La baisse de température ayant permis le GOBE a finalement amené à la première extinction de masse de l’histoire de la Terre. La baisse des océans avec la formation de glaciers a énormément réduit les habitats (Encyclopedia Universalis).
C’est en réalité deux extinctions qui ont eu lieu. La période de glaciation a permis une régression marine, amenant les mers épicontinentales à se retirer diminuant les habitats qui dépendent des surfaces épicontinentales et donc réduisant la biodiversité des espèces qui les abritent (Museum National d’Histoire naturelle, 2007). Le dégagement d’eau froide riche en oxygène a mis en périls les espèces vivantes dans les milieux anoxiques (Encyclopedia Universalis). Après cet épisode glaciaire, les eaux ont connu une remontée, due à un réchauffement, qui a elle détruit de nouveaux écosystèmes et qui contrairement à l’eau froide, est plus faible en oxygène et plus importante en dioxyde de carbone (Museum National d’Histoire naturelle, 2007).
La crise de la fin de l’Ordovicien aurait duré un million d’années (Encyclopedia Universalis). Le caractère brutal qui lui était associé ne l’est plus. Les hypothèses portants sur un impact de rayonnement Gamma sont peu probables (Encyclopedia britannica, 2014). Cet événement d’extinction massif est le plus ancien qui soit attestée par les données paléontologiques notamment par analyse d’ancien glaciers continentaux (Encyclopedia Universalis).
Cette extinction affecta des organismes bien différents les uns des autres, ce vivant sur le fond (brachiopodes, échinodermes, trilobites, conodontes et bien plus encore) ou ce résidant dans les colonnes d’eau (graptolites, gastropodes) (Museum National d’Histoire naturelle, 2007). L’impact est à relativiser, car les grands groupes animaux ne disparaissent pas dans leur totalité (Encyclopedia britannica, 2014). Durant le Silurien, les espèces qui se sont développées sont très proches des espèces de l’Ordovicien (Encyclopedia britannica, 2014).
Le GOBE avait sans doute plus à voir avec les rétroactions positives qu’avec des déclencheurs brusques, les processus géographiques, climatiques ou écologiques, étaient présents au même instant (Servais et al, 2009). Les projets de recherches internationaux ont permis de mieux comprendre tous les processus impliqués dans cet événement (Servais et al, 2009). L’effet cumulatif de ces processus a été décisif dans ce phénomène massif de biodiversité (Servais et al, 2009). Les rétroactions positives engendrées principalement au niveau du climat ont fini par amener un refroidissement trop important qui a précipité certaines espèces de l’Ordovicien à l’extinction (Trotter et al, 2008). L’extinction étant tout de même importante n’a finalement pas réduit l’effet du GOBE qui a été l’une des évolutions les plus rapides et les plus importantes de l’histoire de la Terre.



